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La Nouvelle-Calédonie face à l’Histoire (2/8)

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Chapitre 2 – La paix avec le passé : l’Accord de Nouméa ou la dernière marche d’une décolonisation enfin réussie ?

S’il y a des textes législatifs dont la lecture indigeste ne favorise pas l’intérêt pour la chose juridique, l’Accord de Nouméa en est la parfaite antithèse. Alors que les dispositions juridiques du corps du texte constituent une feuille de route pour la marche vers l’autodétermination néocalédonienne, le préambule de l’Accord de Nouméa, lui, dépasse largement cette fonction. Dans une démarche historique, il rappelle la réalité de ce que fut la colonisation depuis la prise de possession française de la Grande Terre, le 24 septembre 1853. Soulignant que la France « s’approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d’Europe et d’Amérique », il rappelle néanmoins que « ce territoire n’était pas vide » puisqu’habité par « des hommes et des femmes qui avaient développé une civilisation propre, avec ses traditions, ses langues, la coutume organisant le champ social et politique [et] leur culture et leur imaginaire s’exprimant dans diverses formes de création ».

Alors que les plus hautes instances de la République française reconnaissent tout juste l’implication de l’Etat dans les affres de la Seconde Guerre mondiale, l’Accord de Nouméa brave, seulement quelques années plus tard, le non-dit latent autour de la responsabilité de l’Etat français dans la colonisation. L’identification de la culture autochtone et de sa réalité anthropologique, sociologique et politique est le premier pas vers la reconnaissance des « ombres de la période coloniale » et « du traumatisme durable pour la population d’origine » qu’elles ont causé. Car, si l’homme grec d’Aristote se définit comme tel parce qu’il est un animal politique qui se réalise par son action civique pour la cité, l’homme kanak se définit en premier lieu par la terre qu’il foule et par son action pour la cultiver et l’entretenir. Aussi, la spoliation des terres par les colons fut le plus grand des affronts. Le reconnaître et créer les éléments juridiques pour y pallier sont donc un objectif de l’Accord de Nouméa qui consacre la légitimité des Kanaks à participer au développement politique et économique de la Nouvelle-Calédonie.

© PASCAL GUYOT / AFP 5 mai 1998 à Nouméa, signature de l’Accord. De gauche à droite au premier plan : Roch Wamytan, président du FLNKS ; Lionel Jospin, Premier ministre ; Jacques Lafleur, président du RPCR

Au-delà de la reconnaissance offerte au premier peuple, l’Accord de Nouméa met en exergue l’implication des « hommes et des femmes venus en grand nombre, aux XIXème et XXème siècles, convaincus d’apporter le progrès, animés par leur foi religieuse, venus contre leur gré ou cherchant une seconde chance en Nouvelle-Calédonie ». Seule colonie de peuplement avec l’Algérie, le rôle des colons n’était donc pas uniquement économique. Ainsi, « les nouvelles populations ont participé, dans des conditions souvent difficiles, en apportant des connaissances scientifiques et techniques, à la mise en valeur minière ou agricole et, avec l’aide de l’Etat, […] ont jeté les bases du développement ». En refusant l’image réductrice du colon et en soulignant son engagement en faveur du développement d’un territoire, devenu aussi le sien par l’effort dans le temps, l’Accord de Nouméa crée une double légitimité : la condition nécessaire à la construction d’un avenir qui rompt avec une dualité conflictuelle pour se projeter vers un « destin commun ».

Le « destin commun » devient alors le leitmotiv politique de la Nouvelle-Calédonie. L’Accord de Nouméa, pour le permettre, propose de nouvelles dispositions juridiques qui conduisent la Nouvelle-Calédonie sur le chemin de l’autonomie. Pavé par les institutions néocalédoniennes – dont certaines créent une exception « fédérale » au sein de l’une et indivisible République française –, ce chemin vers l’autonomie s’appuie sur le transfert progressif de nombreuses compétences et sur l’adoption de signes communs. Pour résoudre l’épineuse question de l’appartenance à l’Etat français, un referendum d’auto-détermination est acté. Toutefois, pour décider du sort de la Nouvelle-Calédonie, le corps électoral est réduit aux seuls « citoyens néocalédoniens ». Cette citoyenneté calédonienne constituant le corolaire du « destin commun » en ce qu’elle transcende les origines ethniques pour rassembler tous les Néocalédoniens dans un même ensemble politique.

Parce qu’il organise les dispositions nécessaires à une décolonisation pacifique, laissant le choix du maintien ou de la sortie, l’Accord de Nouméa a posé les premières pierres d’une décolonisation démocratique, responsabilisante et jetant un regard apaisé vers le passé. À n’en pas douter, il constitue un moment fort pour la République française. Un moment de foi, de raison et de lucidité, motivé par l’ambition d’un projet commun positif et inclusif. Un moment en rupture avec les décolonisations précédentes, dont certaines, toujours nourrie par la tristesse et la rancœur, entravent tout débat constructif. Un moment, enfin, qui conclut sur une note d’espoir et de concorde un des chapitres les plus douloureux de l’histoire de France.

Bastien VANDENDYCK 

Notes :

1. Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998.

2. En 1995, le président de la République Jacques Chirac crée la surprise et reconnait la responsabilité de la France dans la déportation et l’extermination de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale – https://www.franceinter.fr/histoire/les-presidents-francais-au-vel-d-hiv.

3. La Nouvelle-Calédonie est divisée en trois Provinces, disposant chacune d’une assemblée. Ces provinces élisent un Congrès. Ce dernier, dans son travail législatif pour voter les « lois pays », est conseillé par le Sénat Coutumier et le Conseil Economique et Social. Enfin, un Gouvernement, élu par le Congrès, est en charge de l’exécutif. Voir Chapitre 4 – L’exceptionnalité juridique néocalédonienne : anomalie ou axe de réflexion pour la République française.

4. Toutes les compétences régaliennes restent du ressort de l’Etat français jusqu’au référendum sur l’autodétermination.

5. La Nouvelle-Calédonie dispose d’une Hymne, d’une devise – Terre de parole, Terre de partage – et d’un emblème qui lui sont propre.

6. La date du vote a été arrêtée au 4 novembre 2018.

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